Une conférence de Tobie Nathan sur les heurs et les malheurs de l’identité
sur le site Akadem

Qui es-tu ?
La difficulté à répondre à la question « Qui es-tu ? », l’autodéfinition de son identité tient au fait que la définition est valable pour le questionneur, bien moins pour le questionné. Car d’identités, j’en ai manifestement plusieurs, en fonction des catégories à partir desquelles on me questionne. Je suis citoyen d’un pays, la plupart du temps ; membre d’un groupe ethnique, souvent, de ce qu’on appelait naguère une « nation », Soninké, Peul, Manding, Jola, Serer, Jolof — il y en aurait ainsi une cinquantaine, rien qu’au Sénégal. Je sais posséder aussi une identité biologique, dont on m’a dit qu’elle ne ressemblait à aucune autre et se tenait, comme une signature, dans la double hélice de mon ADN. Mais je sais aussi que ma famille m’a légué quelque chose en propre. Selon les témoignages concordants de plusieurs aînés, je ressemble à mon arrière-grand-père, que je n’ai pas connu. Je lui ressemble non pas seulement dans mon apparence physique, mais aussi dans mes choix de vie, comme si mon destin venait répéter le sien. Aurions-nous lui et moi une identité commune, invisible ? Et lui ? Ressemblait-il à quelqu’ancêtre dont le nom a disparu des mémoires ? Peut-être sommes-nous plusieurs, de la même famille, à partager une même identité ? Il semble de plus que, à croire mes amis, certains traits de caractère me constituent en propre. Ils pourraient les décrire et parfois, lorsque je me comporte d’une certaine façon, ils me renvoient des phrases ironiques telles que : « Ah ! On te reconnaît bien là ! » J’aurais donc également une identité psychologique, qui me fait ressembler à moi-même, marquant mes comportements d’une sorte de signature, là aussi. Mais toutes ces définitions, l’identité biologique, nationale, ethnique, familiale, psychologique, sont des notions théoriques. Elles ne sont inscrites nulle part et je ne m’y réfère que poussé par une question… généralement toujours la même : « Qui es-tu ? »